Les habitant·es de Berchem Sainte-Agathe ont pu découvrir au mois de juin une nouvelle œuvre d’art haute en couleurs sur l’un des murs de l’administration communale. Cette œuvre, créée par l’artiste Odile Brée en partenariat avec Amazone, offre une promenade visuelle à travers l’histoire des femmes en Belgique et ailleurs. Les passant·es peuvent y découvrir, de bas en haut, une ligne du temps imagée des luttes féministes à travers le temps. On vous y emmène !
Étage 1 : Les prémices et la première vague féministe
La lutte pour l’égalité des genres a traversé les époques. Odile Brée a choisi de commencer son récit au 18e siècle. Des figures révolutionnaires telles que Théroigne de Méricourt et Olympe de Gouge appellent à une plus grande égalité entre les femmes et les hommes dans une France tourmentée. Plusieurs femmes à travers l’Europe usent de leur position privilégiée de noblesse blanche pour dénoncer le discours dominant. Un club restreint de femmes parvient alors à acquérir un certain savoir, proposant de nouvelles idées révolutionnaires. Les mouvements européens de lutte pour l’égalité que l’on connaît aujourd’hui trouvent dans cette première vague féministe une grande partie de leurs origines.
Les idées féministes émergent également de l’autre côté de l’Atlantique. Pourtant, même les féministes les plus progressistes ne considèrent pas toutes les femmes comme égales. Sojourner Truth est née esclave noire dans une colonie néerlandaise de New York. Après son évasion, elle se bat notamment pour l’émancipation des femmes. Sa déclaration la plus célèbre, « Ain’t I a woman ? », dénonce le manque d’inclusivité de nombreuses féministes blanches de l’époque. Les cercles de féministes blanches, principalement aristocratiques, au sein desquels ces idées se répandent ne prennent pas en compte les femmes racisées et les autres minorités. En réalité, Truth préconise le concept que nous connaissons aujourd’hui sous le nom d’« intersectionnalité ».
Au début du 20e siècle, on assiste pour la première fois à une organisation à grande échelle du mouvement des femmes. Bien que le droit de vote ait déjà été accordé aux femmes dans certains pays et sous certaines conditions, le mouvement des sufragettes entraîne en 1903 une véritable révolution. Pour la première fois, des millions de femmes du monde entier se rallient à un même mouvement. Le droit de vote est au cœur de leurs revendications. Aujourd’hui encore, la couleur violette qu’elles ont associée à leur combat joue un rôle symbolique dans la lutte pour l’égalité des genres.
L’histoire des droits des femmes est souvent étudiée sous un angle eurocentrique. Il est important de noter que les femmes du monde entier se sont battues pour le droit à l’existence et à la liberté. Les crimes commis au Congo contre la population autochtone à l’époque de la colonisation belge sont abjects et indéfendables. Hommes et femmes ont été à tel point exploité·es et maltraité·es que beaucoup en sont mort·es. Quant aux Congolais·es qui résistaient aux colons et aux travaux forcés, ils et elles s’exposaient à d’autant plus de mutilations. Dans les situations d’oppression et de guerre, les femmes sont en outre souvent victimes de violences sexistes et sexuelles spécifiques. Suite aux atrocités commises au Congo, une commission d’enquête parlementaire a été mise en place pour faire le point sur ces crimes. La parole y a été spécifiquement donnée aux femmes, afin qu’elles témoignent de leur histoire d’oppression basée sur le genre et de leur combat pour la liberté.
La Première Guerre mondiale a profondément modifié les rôles traditionnels assignés aux hommes et aux femmes. Étant donné qu’un grand nombre d’hommes sont envoyés au front, les femmes sont pour la première fois engagées pour effectuer un travail rémunéré auparavant réservé aux hommes. La société se repose alors sur les efforts de nombreuses femmes à travers le monde, ce qui permet de renverser l’argument selon lequel les femmes seraient moins capables d’assurer le maintien de l’ordre au sein d’une communité. Par conséquent, plusieurs pays ont accordé le droit de vote aux femmes dans l’entre-deux-guerres. Pour la première fois, les femmes sont considérées comme des membres à part entière de la société.
La Première Guerre mondiale et l’entre-deux-guerres sont souvent présentés comme des périodes importantes et positives pour les droits des femmes. Il nous faut néanmoins nuancer quelque peu ce tableau. La possibilité pour les femmes de travailler contre rémunération constitue une réelle émancipation mais s’accompagne aussi de ce qu’on appelle la « double journée ». En effet, la charge des tâches ménagères n’étant pas redistribuée, les femmes cumulent travail rémunéré et travail domestique. Aujourd’hui encore, la problématique de la « double journée » reste l’un des points d’achoppement dans la lutte pour l’égalité des genres.
L’autre combat majeur représenté sur ce premier étage de la fresque est la lutte pour le droit à l’éducation. Comme mentionné plus haut, seul un ensemble restreint de femmes a pu accéder à l’éducation à partir du 18e siècle. Cependant, l’éducation reste un rêve lointain pour une grande partie de la population. On attend des enfants qu’ils et elles travaillent dès leur plus jeune âge et qu’ils et elles contribuent aux revenus (souvent faibles) de la famille. De nombreuses personnes s’élèvent alors contre ces pratiques et militent pour l’interdiction du travail des enfants. L’importance de l’éducation est inextricablement liée à la lutte pour l’égalité des genres.
Étage 2 : L’après-guerre et la deuxième vague féministe
Outre leur engagement sur le front domestique, nombreuses sont les femmes qui s’engagent dans la résistance pendant la Première Guerre mondiale. Afin d’aider leur pays et leurs soldats, elles opèrent dans le plus grand secret depuis la Belgique occupée. Des femmes comme Edith Cavell, Marthe Boël et Marie de Croÿ risquent leur vie pour aider les soldats alliés à s’échapper.
La deuxième vague féministe débute dans les années 1960. Le droit de vote des femmes est largement acquis et la société doit faire face à de nouveaux défis. De nombreuses femmes ont continué à travailler après la guerre et combinent vie de famille et travail rémunéré. Malheureusement, les conditions de travail des femmes n’étaient pas idéales. Elles étaient moins bien payées, avaient moins d’opportunités et étaient toujours considérées comme inférieures. En 1957, le traité de Rome a adopté l’introduction de l’égalité salariale dans un délai de cinq ans. Malgré l’accord des gouvernements et des employeurs, l’égalité salariale ne s’est pas concrétisée dans la pratique. Cette situation suscite l’incompréhension de nombreuses travailleuses. En 1966, une grève historique a lieu au sein de l’usine d’armement FN Herstal. Les femmes cessent le travail et descendent dans la rue pendant plusieurs semaines. Les ouvrières effectuent des tâches pénibles, sans protection, au milieu des machines d’avant-guerre. Elles n’avaient aucune possibilité d’évolution et n’étaient pas autorisées à participer aux formations internes. En outre, les hommes les moins qualifiés accédaient immédiatement à la quatrième échelle de salaire, tandis que les femmes n’étaient rémunérées que sur la base des trois premières échelles de salaire. Le principe « à travail égal, salaire égal » s’ajoute aux grandes revendications du mouvement féministe. Les femmes ne veulent plus se contenter de l’inégalité de traitement d’avant-guerre.
Au cours de la deuxième vague féministe, on assiste également à une collectivisation des femmes, cette fois sous la forme de maisons de femmes. Divers groupes d’action et de discussion cherchent des occasions de se réunir physiquement et d’échanger des idées. En 1973, un squat est occupé à Amsterdam et un bastion féministe pluridisciplinaire voit le jour. Le concept est repris dans plusieurs pays. Il en est de même en 1995 à Saint-Josse en Belgique, où l’asbl Amazone accueille et soutient depuis lors diverses organisations de femmes et féministes.
Lors de la deuxième vague féministe, Bruxelles devient donc aussi un terrain de jeu pour les mouvements féministes. Les mouvements traditionnels connaissent un renouveau et des groupes militants tels que les « Dolle Mina » se répandent dans tout le pays. Actifs aux Pays-Bas et en Belgique, ces groupes d’action expérimentent de nouvelles façons de militer et de s’attaquer aux inégalités par le biais de l’humour et d’actions ludiques. La peinture murale « Y’en marre », située dans le quartier nord de Bruxelles, illustre ce mouvement féministe de l’époque. Saurez-vous reconnaître le clin d’œil d’Odile Brée à cette fresque ?
Les années 1960 et 1970 sont souvent considérées comme les années hippies. Le renouveau de l’après-guerre a engendré un optimisme général et un désir de paix et de solidarité. Les femmes aspirent également à plus de liberté et dénoncent les inégalités liées au modèle familial traditionnel. En effet, la « double journée » de travail est toujours d’actualité et les femmes sont par conséquent très limitées dans leur liberté individuelle. Après l’introduction de la contraception en 1962, de nombreuses femmes montent au créneau pour légaliser cette révolution médicale. La prévention individuelle des grossesses permet aux femmes d’avoir une plus grande maîtrise en matière de procréation et de vie familiale et un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie privée. Parallèlement, des voix s’élèvent pour réclamer davantage de crèches afin que les femmes qui travaillent puissent confier la garde de leurs enfants à des professionnel·les. Le droit à l’avortement est également évoqué pour la première fois.
Étage 3 : Intersectionnalité et troisième (et quatrième ?) vague féministe
Certaines revendications de la deuxième vague féministe sont malheureusement toujours d’actualité aujourd’hui. L’écart salarial entre les hommes et les femmes persiste, le droit à l’avortement est remis en question dans plusieurs pays et la pénurie de structures d’accueil pour les enfants accroît potentiellement les inégalités entre les hommes et les femmes dans notre pays. Pourtant, dans les années 1990 émerge une troisième vague féministe. Différentes ramifications du féminisme se créent pour remédier au manque d’inclusion de certains mouvements. Le féminisme noir met par exemple l’accent sur les difficultés spécifiques auxquelles les femmes racisées sont confrontées dans la société. Quant aux féministes LGBTQIA+, elles mettent l’accent sur l’existence de genres différents et dénoncent la nature binaire de notre société. Pour la première fois, il apparaît clairement que des personnes peuvent être exposées à de multiples formes de discriminations, qui ne sont pas indissociables les unes des autres. Par exemple, une femme noire subit à la fois des discriminations basées sur le genre mais aussi des discriminations parce qu’elle est noire. C’est à la juriste féministe Kimberlé Crenshaw qu’on doit la naissance du terme « intersectionnalité » en 1989. Cette notion a considérablement gagné en popularité ces dernières années, permettant aux discours féministes d’inclure d’autres formes de discrimination, telles que le racisme, la lesbophobie, la transphobie, le validisme ou encore le classisme. Les femmes en situation de précarité subissent par exemple des discriminations spécifiques qu’il est important d’identifier ; il en va de même pour les femmes migrantes et sans-papiers.
Une personne pratiquant une religion peut également faire l’objet de discriminations spécifiques. Il suffit de penser au débat sur le foulard dans les écoles et les institutions publiques, où les femmes de confession islamique se voient parfois refuser l’entrée si elles ne souhaitent pas le retirer. Il est essentiel que chaque femme puisse choisir la façon dont elle dispose de son propre corps, même lorsqu’il s’agit de coutumes et de traditions culturelles non européennes.
En 2016, le monde du cinéma a été bouleversé par les témoignages de plusieurs actrices suite aux multiples agressions sexuelles commises par le producteur et magnat du cinéma Harvey Weinstein. Il s’en est suivi une véritable révolution digitale ayant incité des millions de femmes à témoigner des agressions sexuelles subies sous le hashtag #metoo. Cette affluence de témoignages montre douloureusement à quel point les femmes sont confrontées à la violence sexiste et sexuelle dans leur vie quotidienne. En raison de l’ampleur de #metoo, certain·es expert·es considèrent qu’il s’agit là d’une quatrième vague axée sur la violence à l’égard des femmes, qui inclut également la lutte contre les mutilations génitales.
Étage 4 : Le plafond de verre et « À nous la rue ! »
La fresque réalisée par Odile présente un quatrième et dernier étage sur lequel on aperçoit le message « À nous la rue » surplombé par des éclats de verre. L’histoire des luttes pour l’égalité des genres nous montre que si nous avons connu de grandes avancées, le chemin est encore long en vue d’atteindre l’égalité. Nous devrons continuer à nous battre pour une société égalitaire et inclusive. Ce quatrième étage représente donc le « plafond de verre » que nous devrions toutes franchir. Les mots « À nous la rue » ne font pas seulement référence au nom de l’appel à projets de l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes mais constituent également un appel à tous·tes les personnes qui les lisent : il est temps de redistribuer l’espace public pour que chacun·e s’y sente bienvenu·e à tout moment.
Remerciements
Amazone tient à remercier l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes pour son soutien financier, l’artiste Odile Brée pour son optimisme et sa créativité inépuisables, et la commune de Berchem-Sainte-Agathe pour son aide logistique. Sans elles et eux, ce projet n’aurait pas pu voir le jour. Merci à tous·tes !